Elle a tellement hésité...

Il pose la main sur son épaule, son ton est mielleux. Et son sentiment de triomphe absolument inégalable.

"Je dois t'avouer que je ne pensais plus que tu viendrais..."

Elle se dégage et recule, effrayée.

"..."

"Voyons, Dague, tu ne diras donc rien ? Perds cette mine effrayée, elle ne te convient pas du tout, je ne suis pas ici pour te faire du mal. Assieds-toi."

... Dague ? Elle voudrait porter la main à son dos, mais elle se retient. Dague ?

"Je n'ai pas peur de vous."

Mensonge numéro un.

"...Et je ne veux pas m'asseoir."

Mensonge numéro deux: ses jambes vont céder sous elle !

"...Je préfèrerais que nous discutions dehors. Vous avez des choses à m'expliquer."

Il sourit.

"Bravache, avec ça. Tu es peut-être moins irrécupérable que ce que je pensais. Sache une chose avant de sortir: tu es à moi. Tu as toujours été à moi et tu le seras toujours. Ce tatouage, que tu as dans le bas du dos, en est la preuve."

Sa réaction est fulgurante. Il se tourne et bloque son attaque, saisissant ses poignets, l'immobilisant totalement.

"Tu ne sais manifestement pas encore à qui tu as affaire, Dague. Je sais tout de toi, je sais quels ont étés tes parents, je sais comment ils sont morts, je sais ce que tu ressens, je sais ce que tu aimes, je sais ce qui te rend triste, je connais tous tes doutes, tes angoisses les plus profonds, je sais que tu me hais, je sais pourquoi tu te lèves le matin, je sais ce qui t'effraie et ce qui te rend belle. Je connais ta force et tes pouvoirs. Tu me dois tout et je suis déçu que tu ne sois pas plus capable que ça, après toute la patience que j'ai eue, depuis le jour où je t'ai abandonnée dans cette forêt puis ai forcé ton premier père à t'abandonner. Je sais que c'est comme ça que tu les appelles mais ce que tu ne sais pas, c'est que ton premier père, c'est sans doute moi plus que quiconque d'autre. J'ai des choses à te dire et tu vas les écouter, que ça te plaise ou non. Après, le choix t'appartiendra. Mais l'un dans l'autre, il te faudra faire un sacrifice. A toi de mesurer lequel est le plus grand."

Il l'a regardée dans les yeux pendant toute sa tirade. Dague. Sa Dague est enfin là. Le dénouement est proche et il ne doute pas obtenir ce qu'il cherchait.

Les larmes lui montent aux yeux. Il lui fait mal.

"Pourquoi... Dague ?"

Il l'attire plus près de lui, brusquement et pose la main gauche dans le bas de son dos.

"C'est le nom d'un projet, démarré il y a bientôt vingt-huit ans. Un projet de manipulation génétique. Plusieurs pays se sont associés afin de créer l'arme ultime: un mutant aux capacités redoutables, génétiquement modifié, amélioré, croisé encore et encore afin qu'il n'existe plus puissant, plus fort."

Sur le tatouage.

"L'ADN du projet Dague vient de plusieurs de centaines de personnes et d'encore une autre centaine d'animaux ayant des capacités et aptitudes très particulières. Lorsque les accords furent signés, les recherches effectuées - plusieurs milliers de savants y ont travaillé, parfois sans le savoir -, l'embryon a été implanté chez une humaine sans valeur, une junky qui se prostituait pour acheter sa came. Une fille comme ça qui a été bien heureuse d'être payée pour se taire. Nous n'avons même jamais connu son prénom. Qui s'en soucie ?"

Il relâche Lain et s'éloigne d'un pas ou deux. Elle ne bougera pas. Il lui tourne le dos.

Elle n'arrive même pas à pleurer. C'est trop dur de comprendre. C'est trop dur de savoir encore. C'est trop inhumain de l'entendre déballer son histoire comme ça.

Parce qu'il n'y a plus d'espoir.

Plus d'espoir de s'imaginer normale. D'avoir quelque part des parents qui l'aiment et qui pleurent sa perte.

Et tous ces morts...

"...Qu'est-ce que vous attendez de moi ?"

"Si facilement ? Je pensais que tu opposerais plus de résistance, après le temps que tu as mis à venir me voir, Dague !"

Il s'est tourné vers elle et la regarde dans les yeux. Il y a comme une lueur menaçante au fond de son regard. Mêlée à autre chose, de plus profond, de plus indéfinissable...

Les barrages explosent. Des années de retenue. Toujours. Garder au fond et avoir l'air heureuse, insouciante et profondément détachée des choses tristes.

"Mon nom est LAIN ! Cessez de m'appeler Dague ! Vous êtes un monstre, vous avez tué tant de personnes et tout ça pourquoi, finalement ?! Venir détruire la vie que j'ai eu tant de mal à me construire ? M'obliger à tuer, moi aussi ? Désolée mais c'est impossible ! Impossible ! Je vous trouve immonde, je ne sais pas d'où vous venez mais vous avez détruit tout ce que j'aimais, je ne vous laisserai pas me briser une fois de plus !"

Elle reprend son souffle, son coeur bat trop vite, sa tension monte, son visage est blême. On a bien plus à craindre d'un adversaire blême que d'un adversaire rouge de colère.

Il sourit, goguenard.

"Soit. Mais changer une fois de plus ton nom ne devrait pas t'ennuyer outre mesure. Je crois même savoir que ce sera le cadet de tes soucis."

Il se rapproche, féroce.

"Soyons clair, Lain. Ceci est un ultimatum: tu me suis sans histoire et nous disparaissons ensemble, je t'entraîne afin que tu reviennes au niveau qui devrais être le tiens en vue de tes capacités ou je tue tous les membres de l'Institut, en particulier ce cher professeur Williams. L'attaque n'était qu'un avertissement, mes hommes ne ferons pas demi-tour la prochaine fois. Une fois tous morts, tu ne refuseras plus de me suivre, tu n'es pas capable de supporter une perte de plus, psychologiquement."

Il pose sa main sur la joue de Lain. Il est proche. Trop proche.

"Je t'ai attendu et veillée vingt-huit ans, Lain. Crois-moi tu seras à moi d'ici peu. Et si cela doit être violent, ce sera violent. Tu en seras d'autant plus diposée à me suivre."

"Allons, Lain... J'ai plus d'un tour dans mon sac et tu ne te débarasseras pas de moi si facilement."

Il lui adresse un clin d'oeil, l'embrasse sur la joue et se détourne.

"Tu as vingt-quatre heures pour leur dire adieu. Soit à l'ouest de la ville demain à la même heure."

Et il s'en va.

Comme il est venu: les mains dans les poches.